Le vélo est-il la solution pour créer des systèmes de mobilité plus inclusifs ? C’est en tout cas la conviction de Camille Pechoux, ergothérapeute spécialisée en mobilité active. Santé, autonomie, lien social… l’usage du vélo est bénéfique pour les ainés. Pour favoriser le report modal et veiller à la sécurité de ce public fragile, l’écosystème entier doit être repensé. Rencontre.
- Vélo & Territoires : Comment avez-vous été amenée à travailler sur le vélo en lien avec les séniors ?
Camille Pechoux : J’ai travaillé il y a plusieurs années en centre de rééducation auprès de publics très variés : adolescents, personnes accidentées, personnes âgées, etc. J’ai constaté que lorsque l’on est victime d’un accident, lorsque l’on tombe malade, on devient souvent dépendant d’outils technologiques très énergivores : voitures adaptées, fauteuils électriques. Je me suis rendue compte qu’il n’y avait que très peu d’alternatives pour le retour à la mobilité. Étant moi-même cycliste depuis longtemps, j’ai compris qu’il y a là un outil d’autonomie sans égal pour les personnes fragiles. Par la suite, j’ai travaillé dans un centre de ressources et d’innovation en tant que chargée d’accessibilité des espaces publics. J’ai eu l’occasion de chiner des vélos adaptés de qualité dans d’autres pays européens : bicycles, tricycles, vélo couchés, handbikes mais aussi draisiennes pour adulte. J’en ai ramenés un certain nombre en France pour les faire découvrir aux usagers potentiels et aux professionnels de santé. Cela nous a permis de sensibiliser ces derniers aux avantages de ces vélos pour leurs patients, en particulier pour les personnes âgées. C’est un outil formidable de maintien de l’activité physique, mais aussi d’autonomie et de lien social. Il permet aux personnes âgées de réaliser des trajets de proximité plus facilement, donc de limiter leur isolement.
- Aujourd’hui, comment accompagnez-vous ce public vers le vélo ?
En 2015, j’ai eu la chance de rencontrer quatre designers passionnés de vélo. Ensemble, nous avons créé SuperVitus305, un studio de design spécialisé dans les projets innovants vélo et marche. Mon travail au sein de cette équipe consiste à m’assurer que les projets soient les plus inclusifs possible, c’est-à-dire adaptés aux besoins de la diversité de population du territoire. Je porte une attention particulière aux publics fragiles : les personnes à mobilité réduite, les enfants, les femmes enceintes… Et bien sûr les ainés. En parallèle, j’accompagne des personnes vers un retour à la mobilité en tant qu’ergothérapeute spécialisée. Des kinésithérapeutes ou des médecins m’envoient leurs patients pour réaliser des bilans de mobilité active. En fonction de ce bilan, je leur conseille une aide à la marche ou un vélo adapté. J’accompagne également des entreprises qui innovent dans la conception de vélos.
- Quels sont selon vous les freins à la pratique du vélo chez les séniors ?
Leurs besoins en termes de mobilité sont quasi similaires à ceux des enfants ou des personnes en situation de handicap. Ils sont plus vulnérables et n’ont pas les mêmes capacités physiques, cognitives. Pour eux, l’un des principaux freins pour circuler à vélo, c’est le différentiel de vitesse. En ville ou en milieu rural, les personnes âgées à vélo sont confrontées à la vitesse des voitures et ne se sentent pas en sécurité.
- Quelles sont les solutions ?
La première, c’est bien sûr l’apaisement du trafic motorisé. Il n’y a pas de secret, une politique vélo plus inclusive passe par une redistribution correcte de l’espace public pour les modes actifs et une lutte contre les différentiels de vitesse dans les villes et les villages. Ensuite, il est efficace d’agir sur l’infrastructure elle-même : des aménagements cyclables séparés des voitures permettent de relier les centralités de manière confortable. Mais les voitures ne sont qu’une partie du problème : les personnes âgées sont aussi confrontées à la vitesse des autres cyclistes ou usagers de trottinettes électriques. Ainsi, même sur les aménagements cyclables en site propre, les personnes les plus fragiles sont parfois en situation d’insécurité. Les politiques d’aménagement du territoire doivent se recentrer sur la lenteur de ces usagers. Les espaces publics doivent être lisibles, accessibles et confortables pour tous, avant d’envisager la vitesse. C’est ce qu’on appelle un « écosystème capacitant », celui qui permet à chacun d’aller acheter son pain à vélo ou d’aller à l’école à vélo en toute sécurité par exemple !
Il n’y a pas de secret, une politique vélo plus inclusive passe par une redistribution correcte de l’espace public pour les modes actifs et une lutte contre les différentiels de vitesse dans les villes et les villages. Camille Pechoux
- Comment accompagnez-vous les collectivités vers cet écosystème capacitant ?
Il n’y a pas de baguette magique pour créer des aménagements plus inclusifs. Le point de départ, c’est toujours le besoin des usagers du territoire concerné : nous établissons des scénariid’usage auprès d’un échantillon de personnes le plus représentatif possible. Nous réalisons un diagnostic du territoire en termes d’usages, de services, et interrogeons les usagers sur leur mobilité : quels déplacements ? Quels modes ? Quelle fréquence ? Puis, nous proposons des solutions singulières, adaptées au territoire, pour lever les éventuels obstacles à la mobilité. Et chez les séniors, les obstacles sont nombreux.
- C’est donc tout un écosystème à construire ?
Les collectivités peuvent agir sur l’information du public. Un des principaux problèmes aujourd’hui est que nos aînés ne connaissent pas les vélos davantage adaptés à leurs capacités. Les collectivités, les professionnels de santé, les services d’aide à la personne, doivent être sensibilisés à ces solutions pour accompagner les personnes vers le bon équipement. Un autre levier pour les collectivités, c’est la mise à disposition de vélos adaptés. Certaines collectivités le font déjà. Mais l’offre n’est souvent pas assez diversifiée. Résultat : rare sont ceux qui utilisent ces vélos parce qu’ils ne correspondent qu’à une seule situation de handicap. Le vieillissement est évolutif. Il faut que le mode de déplacement le soit aussi. Une personne âgée peut avoir besoin d’un bicycle avec une assise adaptée, puis d’une assistance électrique, et peut-être plus tard d’un tricycle avec des adaptations spécifiques. Une flotte diversifiée de vélos adaptés permet aux collectivités d’accompagner les personnes âgées dans l’évolution de leur mobilité.
- Quid de la formation ?
Certaines associations travaillent sur ce volet depuis longtemps. À Lyon par exemple, la Maison du Vélo accompagne les personnes à mobilité réduite vers l’apprentissage du vélo. À Montpellier, une association de professeurs d’activité physique adaptée s’est emparée du sujet. Ils se rendent dans les maisons de retraite pour proposer aux personnes âgées de pédaler sur un tricycle. Le but ? Encadrer une pratique sécurisée pour retrouver la sensation de liberté. Néanmoins la formation des séniors sur le vélo est assez disparate. Des initiatives émergent, mais encore faut-il les faire connaître et les coordonner. C’est là que l’action des collectivités entre en jeu.
- Il est possible d’agir sur l’infrastructure, les services, la formation. Mais quid du vélo lui-même ?
Il y a une grande marge de progression au niveau de l’équipement. En France, le retour d’une industrie spécialisée vélo serait une grande chance pour faciliter l’innovation. Il existe des équipements très pertinents pour les personnes âgées : un moyeu à vitesse intégrée qui permet de changer de vitesse à l’arrêt, une manette pour changer facilement la position du cintre, des clignotants ou des rétroviseurs pour ne pas se déséquilibrer en se forçant à lever un bras ou à tourner la tête, des vélos à assise surbaissée qui permettent d’avoir les deux pieds au sol à l’arrêt, sans parler de la grande variété de tricycles. Aujourd’hui, même des personnes avec une hémiplégie peuvent continuer à pratiquer le vélo.
- Le VAE est-il un outil adapté pour maintenir la mobilité des séniors ?
Effectivement beaucoup de personnes âgées se tournent vers le VAE pour compenser la diminution de leurs capacités physiques. L’assistance électrique est une bonne idée, mais il y a aussi un risque qu’elle soit mal utilisée. Elle est intéressante pour aider à terminer un trajet en cas de fatigue, ou pour grimper une côte. Or, souvent elle est plutôt utilisée par les personnes vieillissantes comme un moyen d’aller plus vite que leur rythme naturel et de rester dans le flux des autres cyclistes. Au-delà du fait que l’activité physique devient moindre, cette utilisation du VAE peut être dangereuse. Avec l’âge, les capacités sensorielles et cognitives diminuent également. La réactivité baisse et, avec la vitesse, les accidents graves arrivent plus souvent. Les dernières analyses néerlandaises montrent que les cyclistes plus âgés constituent le gros des victimes : 75 % des décédés à vélo et 50 % des cyclistes gravement blessés ont plus de 60 ans.
Propos recueillis par Antoine Coué
Source :Vélo&territoires